Les pergolas, ces structures architecturales extérieures qui agrémentent jardins et terrasses, peuvent devenir source de contentieux entre voisins ou tiers. Au carrefour du droit de propriété, de l’urbanisme et de la responsabilité civile, les litiges concernant ces installations soulèvent des questions juridiques complexes. La jurisprudence française a progressivement élaboré un cadre normatif spécifique pour traiter ces différends hors du champ contractuel. Cette analyse examine les fondements juridiques, conditions et mécanismes de mise en œuvre de la responsabilité extra-contractuelle dans le contexte particulier des pergolas, tout en explorant les évolutions récentes de cette matière en constante mutation.
Fondements juridiques de la responsabilité extra-contractuelle applicable aux pergolas
La responsabilité extra-contractuelle, souvent qualifiée de délictuelle ou quasi-délictuelle, trouve son assise principale dans les articles 1240 et suivants du Code civil. L’article 1240, qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », constitue le socle fondamental sur lequel reposent de nombreux litiges impliquant des pergolas.
Dans ce cadre juridique, les contentieux liés aux pergolas s’articulent généralement autour de trois grands axes. Premièrement, la responsabilité du fait personnel, lorsque le propriétaire d’une pergola commet une faute ayant causé un préjudice à autrui. Deuxièmement, la responsabilité du fait des choses, consacrée par l’article 1242 alinéa 1er du Code civil, applicable lorsque la pergola elle-même, en tant que chose sous la garde du propriétaire, cause un dommage. Troisièmement, la théorie des troubles anormaux de voisinage, création prétorienne désormais bien établie, qui permet d’engager la responsabilité d’un propriétaire même en l’absence de faute caractérisée.
La responsabilité pour faute dans le contexte des pergolas
La responsabilité pour faute nécessite la réunion de trois éléments constitutifs : un fait générateur fautif, un dommage et un lien de causalité entre les deux. Dans le cas spécifique des pergolas, la faute peut résider dans le non-respect des règles d’urbanisme, comme l’illustre l’arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 2018 (3e chambre civile, n°17-14.366), où un propriétaire fut condamné pour avoir érigé une pergola sans respecter les dispositions du Plan Local d’Urbanisme.
La jurisprudence a progressivement précisé les contours de cette responsabilité. Ainsi, la construction d’une pergola sans déclaration préalable de travaux, lorsqu’elle est requise, constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité de son auteur. De même, l’installation d’une pergola empiétant sur la propriété voisine représente une violation directe du droit de propriété pouvant fonder une action en responsabilité.
La responsabilité du fait des choses appliquée aux pergolas
L’article 1242 alinéa 1er du Code civil institue une présomption de responsabilité à l’encontre du gardien d’une chose ayant causé un dommage. Dans cette optique, le propriétaire d’une pergola est présumé responsable des dommages causés par cette structure, sauf à rapporter la preuve d’une cause étrangère exonératoire.
Ce régime de responsabilité trouve à s’appliquer notamment lorsqu’une pergola s’effondre et cause des dégâts sur la propriété voisine ou blesse un tiers. La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 7 septembre 2017, a ainsi retenu la responsabilité du propriétaire d’une pergola dont l’effondrement partiel avait endommagé le véhicule du voisin, considérant que le défaut d’entretien de la structure constituait un manquement à son obligation de gardien.
Les troubles anormaux de voisinage : un fondement privilégié dans les litiges relatifs aux pergolas
La théorie des troubles anormaux de voisinage, consacrée par l’adage « nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage », constitue un terrain particulièrement fertile pour les contentieux liés aux pergolas. Cette construction prétorienne, désormais fermement ancrée dans notre droit positif, présente la particularité de permettre l’engagement de la responsabilité sans qu’une faute ne soit nécessairement établie.
Dans le contexte spécifique des pergolas, plusieurs critères permettent d’apprécier le caractère anormal d’un trouble. La jurisprudence prend notamment en compte l’impact visuel de la structure, les nuisances sonores qu’elle peut générer (par exemple lorsqu’elle est équipée de stores motorisés ou de toiles claquant au vent), les privations d’ensoleillement ou encore les atteintes à l’intimité qu’elle peut occasionner.
L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 12 janvier 2019 illustre parfaitement cette problématique. Dans cette affaire, les juges ont considéré qu’une pergola vitrée, bien que conforme aux règles d’urbanisme, constituait un trouble anormal de voisinage en raison de sa hauteur excessive et de sa proximité avec la limite séparative, entraînant une privation significative d’ensoleillement pour le voisin. La Cour a ordonné la modification de la structure pour rétablir des conditions de voisinage acceptables.
Il convient de souligner que l’appréciation du caractère anormal du trouble relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui se livrent à une analyse in concreto, tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte :
- La configuration des lieux et l’environnement local
- La préexistence de la pergola par rapport à l’arrivée du voisin (théorie de la pré-occupation)
- L’intensité et la permanence du trouble
- La sensibilité particulière éventuelle de la victime
La Cour de cassation a par ailleurs précisé, dans un arrêt du 23 octobre 2020 (3e chambre civile, n°19-20.261), que la conformité d’une pergola aux règles d’urbanisme ne fait pas obstacle à la qualification de trouble anormal de voisinage. Cette solution, parfaitement conforme à l’autonomie des législations, souligne la spécificité de ce régime de responsabilité qui transcende les autorisations administratives obtenues.
Conditions de mise en œuvre de l’action en responsabilité liée aux pergolas
L’exercice d’une action en responsabilité extra-contractuelle concernant une pergola suppose la réunion de plusieurs conditions procédurales et de fond. Ces prérequis déterminent tant la recevabilité de l’action que ses chances de succès au fond.
Identification des parties au litige
La détermination précise des parties constitue une étape préliminaire fondamentale. Le demandeur doit être la victime directe du dommage ou, dans certains cas, une victime par ricochet. Quant au défendeur, il peut s’agir du propriétaire de la pergola, mais pas uniquement. Selon les circonstances, la responsabilité pourrait être recherchée contre :
- Le constructeur de la pergola en cas de vice de conception ou de réalisation
- Le syndic de copropriété qui aurait autorisé une installation non conforme
- L’architecte ayant conçu les plans d’une pergola défectueuse
- La commune ayant délivré un permis de construire illégal (dans le cadre d’une action en responsabilité administrative)
La jurisprudence admet par ailleurs la possibilité d’actions conjointes contre plusieurs défendeurs, notamment dans les cas où la responsabilité peut être partagée. Ainsi, dans un arrêt du 17 mai 2018, la Cour d’appel de Montpellier a condamné in solidum le propriétaire d’une pergola et l’entreprise l’ayant installée, après que cette structure se soit effondrée sur un véhicule stationné.
Établissement du préjudice
Le préjudice, condition sine qua non de toute action en responsabilité, doit être certain, direct et légitime. Dans le contexte des pergolas, différentes natures de préjudices peuvent être invoquées :
Les préjudices matériels sont les plus fréquents : dégradation de biens suite à l’effondrement d’une pergola, diminution de la valeur vénale d’un bien immobilier en raison de la proximité d’une pergola disgracieuse, coûts liés à la perte d’ensoleillement (augmentation des factures de chauffage ou d’éclairage).
Les préjudices moraux peuvent également être reconnus : atteinte à la jouissance paisible de sa propriété, préjudice d’anxiété lié à la crainte d’un effondrement, stress chronique causé par les nuisances sonores d’une pergola équipée de toiles battantes.
Enfin, les préjudices corporels peuvent survenir en cas d’accident : blessures causées par l’effondrement d’une pergola, chutes liées à une conception défectueuse, etc.
La preuve du préjudice incombe au demandeur, qui peut recourir à divers moyens probatoires : constats d’huissier, expertises techniques ou immobilières, témoignages, certificats médicaux, factures de réparation ou devis.
Établissement du lien de causalité
Le lien de causalité entre le fait générateur (installation ou présence de la pergola) et le dommage allégué doit être direct et certain. La théorie de l’équivalence des conditions et celle de la causalité adéquate sont généralement mobilisées par les tribunaux pour apprécier ce lien.
Dans un arrêt du 9 avril 2021, la Cour de cassation a cassé une décision de la Cour d’appel de Bordeaux qui avait refusé d’indemniser un propriétaire se plaignant de l’humidité excessive de son jardin. La Haute juridiction a considéré que les juges du fond n’avaient pas suffisamment recherché si la pergola du voisin, par sa configuration particulière, ne contribuait pas à rediriger les eaux pluviales vers la propriété du demandeur, créant ainsi le dommage allégué.
Les moyens de défense face à une action en responsabilité liée aux pergolas
Face à une action en responsabilité extra-contractuelle concernant une pergola, plusieurs lignes de défense peuvent être développées par le propriétaire mis en cause. Ces stratégies défensives varient selon le fondement juridique invoqué et les circonstances particulières de l’espèce.
La conformité aux règles d’urbanisme et aux autorisations administratives
Bien que la conformité aux règles d’urbanisme ne constitue pas une fin de non-recevoir absolue face à une action fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage, elle représente néanmoins un argument de poids dans le cadre d’une action pour faute. Le défendeur peut ainsi valoriser :
- L’obtention préalable d’un permis de construire ou d’une déclaration préalable de travaux
- Le respect des dispositions du Plan Local d’Urbanisme concernant les distances, hauteurs et emprises au sol
- La conformité aux règlements de lotissement ou de copropriété
- L’absence de recours des tiers pendant la période légale suivant l’affichage des autorisations
La jurisprudence reconnaît une présomption simple de légalité aux constructions ayant fait l’objet d’autorisations administratives régulières. Dans un arrêt du 3 février 2020, la Cour d’appel de Rennes a ainsi débouté un demandeur qui contestait l’installation d’une pergola bioclimatique par son voisin, au motif que cette installation avait fait l’objet d’une déclaration préalable en bonne et forme et respectait scrupuleusement les prescriptions du PLU en matière de hauteur et d’implantation.
L’absence de caractère anormal du trouble
Face à une action fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage, le défendeur peut tenter de démontrer que les désagréments causés par sa pergola ne dépassent pas les inconvénients normaux de voisinage. Cette stratégie peut s’appuyer sur plusieurs éléments :
La proportionnalité de l’ouvrage par rapport au contexte environnant, notamment dans les zones résidentielles où de telles installations sont courantes. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 14 septembre 2019, a ainsi considéré qu’une pergola de dimensions modestes, installée sur une terrasse dans un quartier résidentiel où de nombreuses constructions similaires existaient déjà, ne constituait pas un trouble anormal.
Le caractère limité des nuisances générées, notamment lorsque la pergola est conçue avec des matériaux de qualité limitant la réverbération lumineuse ou le bruit. Dans un arrêt du 21 novembre 2018, la Cour d’appel de Paris a rejeté la demande d’un voisin se plaignant du bruit généré par une pergola à lames orientables, après qu’une expertise acoustique ait démontré que les niveaux sonores restaient largement inférieurs aux seuils réglementaires.
L’antériorité de la pergola par rapport à l’installation du voisin plaignant peut également constituer un moyen de défense efficace. La théorie de la pré-occupation, bien que d’application restrictive, peut être invoquée lorsque le trouble existait avant l’arrivée de la victime alléguée.
Les causes exonératoires de responsabilité
Les causes exonératoires classiques du droit de la responsabilité civile peuvent être mobilisées dans le cadre de litiges relatifs aux pergolas :
La force majeure, caractérisée par son imprévisibilité, son irrésistibilité et son extériorité, peut être invoquée notamment en cas d’effondrement d’une pergola suite à des conditions météorologiques exceptionnelles. Ainsi, la Cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 5 mars 2017, a exonéré de sa responsabilité le propriétaire d’une pergola qui s’était effondrée sous le poids d’une chute de neige d’une intensité sans précédent dans la région concernée.
Le fait d’un tiers peut également constituer une cause d’exonération, totale ou partielle. Par exemple, lorsque l’effondrement d’une pergola résulte de travaux réalisés par un tiers à proximité ayant déstabilisé les fondations de la structure.
Enfin, la faute de la victime peut être opposée lorsque celle-ci a contribué à la réalisation de son propre dommage, par exemple en s’appuyant sur une pergola manifestement fragile ou en négligeant d’entretenir sa propre propriété de manière à amplifier les désagréments causés par la pergola voisine.
Réparations et sanctions dans les litiges relatifs aux pergolas
Lorsque la responsabilité du propriétaire d’une pergola est établie, différentes formes de réparation et de sanctions peuvent être prononcées par les tribunaux. Le principe directeur reste celui de la réparation intégrale du préjudice, mais les modalités pratiques varient considérablement selon la nature du litige et les circonstances de l’espèce.
Les mesures de réparation en nature
La réparation en nature constitue souvent la solution privilégiée lorsqu’elle est possible, car elle permet de faire cesser directement le trouble. Les tribunaux peuvent ainsi ordonner :
La démolition totale de la pergola litigieuse. Cette mesure radicale est généralement réservée aux cas les plus graves, notamment lorsque la pergola a été construite sans autorisation ou en violation flagrante des règles d’urbanisme. Dans un arrêt du 12 mai 2019, la Cour d’appel de Nîmes a ainsi ordonné la démolition complète d’une pergola construite sans autorisation et causant une privation totale d’ensoleillement au voisin pendant les mois d’hiver.
La modification partielle de l’ouvrage représente une solution intermédiaire fréquemment retenue. Il peut s’agir de réduire la hauteur de la pergola, de modifier son implantation pour l’éloigner de la limite séparative, ou encore de remplacer certains éléments problématiques (comme des lames réfléchissantes par des lames mates). La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 8 juillet 2020, a ainsi ordonné au propriétaire d’une pergola bioclimatique de remplacer les lames orientables métalliques par des lames en bois moins bruyantes et de limiter les plages horaires d’utilisation du système motorisé.
Des aménagements compensatoires peuvent également être imposés, comme la plantation d’une haie pour masquer partiellement la pergola, l’installation de dispositifs anti-bruit ou la mise en place de systèmes limitant les reflets lumineux. Ces mesures, moins contraignantes, sont souvent privilégiées lorsque le trouble est réel mais d’intensité modérée.
Les indemnisations financières
Outre les mesures matérielles, les tribunaux accordent fréquemment des indemnisations financières pour réparer les différents préjudices subis :
Les dommages et intérêts compensatoires visent à réparer le préjudice déjà subi. Leur montant varie considérablement selon l’ampleur du dommage et sa durée. Pour les troubles de jouissance liés à une pergola, les tribunaux allouent généralement des sommes comprises entre quelques centaines et plusieurs milliers d’euros. La Cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 11 septembre 2018, a ainsi accordé 5 000 euros de dommages et intérêts à un propriétaire privé d’ensoleillement pendant trois ans en raison de la pergola de son voisin.
L’indemnisation de la perte de valeur immobilière peut être accordée lorsque la présence de la pergola litigieuse entraîne une dépréciation durable du bien de la victime. Cette évaluation requiert généralement l’intervention d’un expert immobilier. Dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Bordeaux le 14 décembre 2019, une indemnité de 15 000 euros a été accordée à ce titre, l’expertise ayant établi une diminution de 4% de la valeur du bien en raison de la perte de vue occasionnée par une imposante pergola voisine.
Les frais annexes engagés par la victime peuvent également faire l’objet d’une indemnisation : honoraires d’experts, frais de constat d’huissier, coûts des travaux rendus nécessaires par la présence de la pergola (installation d’un système d’éclairage supplémentaire pour compenser la perte de luminosité, par exemple).
Les astreintes et sanctions complémentaires
Pour garantir l’exécution effective des mesures ordonnées, les tribunaux assortissent fréquemment leurs décisions d’astreintes. Ces sommes, dues par jour de retard dans l’exécution de l’obligation, peuvent atteindre plusieurs centaines d’euros quotidiens dans les cas les plus graves.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 17 janvier 2021, a ainsi assorti son injonction de modifier une pergola d’une astreinte de 150 euros par jour de retard au-delà d’un délai de trois mois suivant la signification de l’arrêt.
Dans certains cas, notamment lorsque la pergola a été construite en violation manifeste des règles d’urbanisme, le juge peut également transmettre son jugement aux autorités administratives compétentes, susceptibles d’engager des poursuites pour infraction au Code de l’urbanisme. Ces infractions peuvent donner lieu à des amendes pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros.
Enfin, la publication du jugement dans la presse locale ou son affichage sur les lieux peuvent être ordonnés, particulièrement lorsque l’affaire présente un intérêt pour les autres habitants du quartier ou de la commune.
Perspectives d’évolution du contentieux des pergolas : vers une juridicisation croissante
Le contentieux relatif aux pergolas connaît une évolution significative, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Plusieurs facteurs convergents laissent présager une sophistication croissante de ce type de litiges dans les années à venir.
L’engouement pour les pergolas bioclimatiques, structures technologiquement avancées permettant une régulation thermique naturelle des espaces extérieurs, constitue un premier facteur d’évolution. Ces installations, souvent coûteuses et imposantes, génèrent des problématiques juridiques nouvelles : nuisances sonores liées aux moteurs d’orientation des lames, réverbération lumineuse accrue, questions relatives à la qualification juridique de ces structures hybrides entre construction et équipement.
Une décision récente de la Cour administrative d’appel de Marseille (6 avril 2022) a ainsi considéré qu’une pergola bioclimatique devait être assimilée à une extension du bâtiment principal pour l’application des règles d’urbanisme, et non à un simple aménagement extérieur comme le soutenait le requérant. Cette qualification plus stricte pourrait entraîner une multiplication des recours contre les autorisations administratives délivrées pour ce type d’installations.
La judiciarisation croissante des rapports de voisinage représente un second facteur d’évolution du contentieux. Les pergolas, situées à l’interface entre l’espace privé et l’environnement partagé, cristallisent fréquemment les tensions entre propriétaires limitrophes. La tendance à la densification urbaine et péri-urbaine ne fait qu’accentuer ce phénomène, en multipliant les occasions de friction entre voisins.
Cette évolution se traduit par un affinement progressif de la jurisprudence, qui développe des critères d’appréciation de plus en plus précis pour évaluer le caractère anormal d’un trouble ou la proportionnalité d’une mesure de réparation. Ainsi, plusieurs cours d’appel ont récemment développé des grilles d’analyse multicritères intégrant des facteurs comme l’orientation solaire, la configuration topographique des lieux ou encore l’impact psychologique des nuisances visuelles.
L’impact des préoccupations environnementales
Les considérations environnementales modifient progressivement l’approche juridique des litiges relatifs aux pergolas. Deux tendances contradictoires peuvent être observées.
D’une part, les tribunaux tendent à accorder une importance croissante au droit à l’ensoleillement, considéré comme une composante du droit à un environnement sain. Cette évolution favorise les demandeurs se plaignant d’une privation de lumière naturelle due à l’installation d’une pergola voisine. L’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 23 septembre 2021 illustre cette tendance, les juges ayant explicitement mentionné « l’impératif de sobriété énergétique » pour justifier la protection du droit à l’ensoleillement du demandeur.
D’autre part, la fonction écologique des pergolas végétalisées est de plus en plus reconnue. Ces structures peuvent contribuer à la biodiversité urbaine, à la régulation thermique des bâtiments et à la captation du carbone. Un arrêt novateur de la Cour d’appel de Grenoble du 15 janvier 2022 a ainsi refusé d’ordonner la modification d’une pergola végétalisée malgré l’ombre portée sur la propriété voisine, au motif que « les bénéfices environnementaux collectifs » de cette installation compensaient raisonnablement les inconvénients subis par le voisin.
La médiation comme alternative au contentieux judiciaire
Face à l’augmentation des litiges relatifs aux pergolas et à la complexité croissante des questions juridiques qu’ils soulèvent, la médiation s’impose progressivement comme une alternative pertinente à la voie contentieuse traditionnelle.
Plusieurs expérimentations de médiation obligatoire préalable ont été menées dans ce domaine, avec des résultats encourageants. Le Tribunal judiciaire de Lyon a ainsi mis en place depuis 2020 un dispositif de médiation systématique pour les litiges de voisinage impliquant des constructions légères comme les pergolas. Selon les statistiques publiées par cette juridiction, près de 65% des différends soumis à ce processus aboutissent à un accord amiable.
Ces accords présentent généralement l’avantage de la souplesse et de la créativité dans les solutions retenues : installation de végétaux compensatoires, usage limité à certaines plages horaires, partage des coûts de modification, etc. La justice participative permet ainsi d’aboutir à des solutions sur-mesure que le juge, contraint par le principe dispositif et les limites de ses pouvoirs, ne pourrait pas toujours imposer.
La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a renforcé cette tendance en encourageant le recours aux modes alternatifs de règlement des différends. Dans ce contexte, plusieurs barreaux ont développé des formations spécifiques pour leurs membres sur la médiation en matière de troubles de voisinage liés aux aménagements extérieurs.
L’évolution du contentieux des pergolas reflète ainsi les transformations plus larges du droit de la responsabilité civile, marqué par une technicité croissante, une prise en compte accrue des enjeux environnementaux et une recherche d’alternatives à la judiciarisation systématique des rapports sociaux. Cette matière, à l’apparence anecdotique, constitue en réalité un laboratoire particulièrement instructif des mutations contemporaines de notre droit.
