Le droit des assurances connaît actuellement une transformation profonde sous l’effet combiné des avancées technologiques, des changements climatiques et des mutations sociétales. Ces facteurs catalysent l’émergence de nouveaux cadres juridiques qui redéfinissent le rapport entre assureurs et assurés. Au cœur de cette métamorphose se trouvent des enjeux fondamentaux comme la protection des données personnelles, l’adaptation aux risques émergents et l’intégration des technologies disruptives. Cette évolution juridique s’inscrit dans un contexte où le secteur assurantiel doit concilier innovation et protection du consommateur, tout en répondant aux défis réglementaires internationaux.
L’intelligence artificielle et la blockchain : nouvelles frontières juridiques
L’intégration de l’intelligence artificielle dans le secteur assurantiel bouleverse les paradigmes juridiques établis. La loi n°2023-548 du 15 juillet 2023 relative à l’encadrement de l’IA dans les services financiers impose désormais aux assureurs un cadre strict concernant l’utilisation d’algorithmes pour la tarification des contrats. Cette législation exige une transparence accrue sur les critères utilisés, interdisant notamment toute discrimination fondée sur des données sensibles, même indirectement déduites.
Le Règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets) adopté en 2022 vient quant à lui encadrer l’usage de la technologie blockchain dans les contrats d’assurance. Les smart contracts, ces protocoles informatiques qui exécutent automatiquement les termes d’un contrat, posent des questions juridiques inédites en matière de responsabilité. En effet, l’arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 2022 a reconnu pour la première fois la valeur juridique d’un contrat d’assurance exécuté via blockchain, tout en précisant les conditions de validité et d’opposabilité.
Le droit français s’adapte à ces innovations par l’adoption de la loi PACTE qui a créé un régime juridique spécifique pour les actifs numériques, impactant directement les assureurs proposant des couvertures pour ces nouveaux types de biens. La question de l’interprétation contractuelle se pose avec acuité lorsque le contrat est partiellement ou totalement automatisé. La jurisprudence récente (CA Paris, 14 février 2023) a commencé à définir les principes d’interprétation applicables aux clauses contractuelles issues de processus algorithmiques.
Enjeux de responsabilité dans l’assurance automatisée
Le Conseil d’État, dans son avis n°405797 du 25 janvier 2022, a précisé les contours de la responsabilité des assureurs utilisant des systèmes automatisés de gestion des sinistres. Cette jurisprudence administrative pose le principe selon lequel l’assureur reste pleinement responsable des décisions prises par ses systèmes d’IA, même en cas de défaillance algorithmique non anticipée. Cette position renforce considérablement la protection des assurés face aux risques liés à l’automatisation des processus assurantiels.
Protection des données personnelles et assurance : un cadre juridique en mutation
Le secteur assurantiel se trouve à l’intersection des problématiques de données personnelles et de gestion des risques. L’application du RGPD dans ce secteur a engendré une jurisprudence spécifique, notamment avec l’arrêt de la CJUE du 7 mai 2022 (C-687/21) qui a précisé les conditions dans lesquelles un assureur peut invoquer l’intérêt légitime pour traiter des données de santé sans consentement explicite. Cette décision a contraint les assureurs français à réviser leurs processus de collecte et de traitement des données sensibles.
La CNIL, par sa délibération n°2022-159 du 15 décembre 2022, a établi un référentiel sectoriel pour les assureurs, définissant les conditions de conformité des traitements de données dans le cadre de la lutte contre la fraude. Ce cadre juridique impose des limitations strictes quant à la durée de conservation des données et aux sources d’informations utilisables pour détecter les comportements frauduleux.
Le droit à l’oubli en matière d’assurance a été significativement renforcé par la loi du 4 mars 2022 visant à démocratiser le sport, qui a étendu ce droit aux personnes ayant souffert de pathologies cancéreuses. Désormais, après un délai de cinq ans suivant la fin du protocole thérapeutique, aucune information médicale relative à cette pathologie ne peut être collectée par les assureurs pour les contrats d’assurance emprunteur.
La question de la portabilité des données d’assurance a été clarifiée par l’arrêté du 17 avril 2023 qui définit le format standard d’échange de données entre assureurs. Cette avancée juridique facilite considérablement le changement d’assureur pour les consommateurs, renforçant ainsi la concurrence sur le marché. Les assureurs doivent désormais garantir cette portabilité sous peine de sanctions administratives pouvant atteindre 3% du chiffre d’affaires annuel.
Vers une souveraineté numérique dans l’assurance
La loi n°2022-309 du 3 mars 2022 relative à la souveraineté numérique impose aux assureurs des obligations renforcées concernant l’hébergement des données de leurs assurés. Le texte prévoit que les données considérées comme stratégiques doivent être stockées sur des serveurs localisés sur le territoire de l’Union européenne et soumis au droit européen, limitant ainsi le recours à des prestataires cloud extra-européens.
L’assurance face aux nouveaux risques systémiques
Le risque cyber constitue aujourd’hui l’un des défis majeurs pour le droit des assurances. Le règlement européen sur la résilience opérationnelle numérique (DORA), adopté le 16 novembre 2022, impose aux assureurs de nouvelles obligations en matière de gestion des incidents informatiques. Ce texte prévoit notamment l’obligation de notifier tout incident majeur à l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) dans un délai de 24 heures.
En droit français, l’ordonnance n°2023-297 du 25 avril 2023 a transposé ces exigences européennes et créé un régime spécifique d’assurance cyber. Ce cadre juridique impose une standardisation des définitions contractuelles relatives aux risques numériques, facilitant ainsi la comparabilité des offres pour les consommateurs et limitant les zones grises en matière de couverture.
Face aux risques climatiques, le législateur a procédé à une refonte du régime des catastrophes naturelles par la loi du 28 décembre 2021. Cette réforme élargit le champ d’application du régime Cat-Nat en incluant explicitement le retrait-gonflement des argiles, phénomène devenu majeur avec le changement climatique. La jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 23 juin 2022, n°20-22.352) a par ailleurs précisé les modalités d’indemnisation en cas de sinistres successifs d’origine climatique.
Les risques pandémiques, révélés dans toute leur ampleur par la crise du Covid-19, ont conduit à l’émergence d’un cadre juridique spécifique. La proposition de règlement européen COM(2023) 213 final du 26 avril 2023 vise à créer un mécanisme européen de réassurance des risques pandémiques, obligeant les assureurs à proposer des garanties minimales contre ces risques dans leurs contrats multirisques professionnels.
L’émergence d’un droit de l’assurance paramétrique
L’assurance paramétrique, qui déclenche automatiquement l’indemnisation lorsque certains paramètres prédéfinis sont atteints, bénéficie désormais d’un cadre juridique spécifique avec le décret n°2022-1248 du 22 septembre 2022. Ce texte définit les conditions de validité de ces contrats innovants et précise les obligations d’information précontractuelle renforcées qui s’imposent aux assureurs proposant ces produits.
Internationalisation du droit des assurances et harmonisation européenne
L’harmonisation européenne du droit des assurances s’accélère avec la révision de la directive Solvabilité II (directive 2009/138/CE) adoptée le 12 juillet 2023. Cette réforme ajuste les exigences prudentielles applicables aux assureurs européens en tenant compte des taux d’intérêt bas et des risques climatiques. Elle introduit également des obligations de reporting extra-financier alignées sur la taxonomie européenne des activités durables.
Le droit international privé des assurances connaît une évolution significative avec l’arrêt de la CJUE du 20 septembre 2022 (C-500/21) qui clarifie les règles de compétence juridictionnelle en matière de contentieux transfrontalier d’assurance. Cette décision renforce la protection du consommateur en permettant systématiquement à l’assuré personne physique d’assigner son assureur devant les juridictions de son domicile, même en présence d’une clause attributive de juridiction contraire.
Le projet de Code européen des assurances, dont les travaux préparatoires ont été publiés en mars 2023, constitue une avancée majeure vers l’unification des règles applicables au contrat d’assurance. Ce projet vise à harmoniser les règles relatives à la formation, l’exécution et la résiliation des contrats d’assurance au sein de l’Union européenne, réduisant ainsi les disparités nationales qui constituent des obstacles à la création d’un véritable marché unique de l’assurance.
L’impact du Brexit sur le droit des assurances s’est concrétisé par l’accord de coopération UE-Royaume-Uni du 30 décembre 2020, qui prévoit des dispositions spécifiques pour les services financiers. La loi française n°2022-267 du 28 février 2022 a précisé le régime applicable aux contrats d’assurance souscrits avant le Brexit auprès d’assureurs britanniques, garantissant la continuité des droits des assurés français malgré la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Vers un droit global de la réassurance
Le droit de la réassurance tend vers une globalisation avec l’adoption de principes communs par l’Association internationale des superviseurs d’assurance (IAIS). Ces principes, intégrés en droit français par l’ordonnance n°2022-1229 du 14 septembre 2022, renforcent les exigences de transparence dans les relations entre assureurs et réassureurs, notamment concernant la communication des informations sur les risques cédés.
Transformations sociales et évolutions du contrat d’assurance
Les nouvelles formes de mobilité (trottinettes électriques, vélos en libre-service, covoiturage) ont nécessité une adaptation du droit des assurances. La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 a été complétée par le décret n°2023-144 du 27 février 2023 qui précise les obligations d’assurance spécifiques aux engins de déplacement personnel motorisés. Ce texte clarifie notamment la notion de conducteur habituel dans le contexte des mobilités partagées.
L’économie collaborative a engendré une évolution jurisprudentielle significative concernant la qualification des risques assurés. L’arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2022 (n°21-19.492) a ainsi considéré que la location occasionnelle d’un bien immobilier via une plateforme ne constituait pas une modification du risque nécessitant une déclaration à l’assureur, à condition que cette activité reste accessoire.
Le droit des assurances s’adapte aux nouveaux modes de vie avec la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration. Ce texte a créé un cadre juridique spécifique pour l’assurance habitation des résidences mobiles et a modernisé les règles applicables aux contrats multioccupants, prenant ainsi en compte l’essor de la colocation et de l’habitat partagé.
La digitalisation des relations contractuelles a été consacrée par l’ordonnance n°2023-363 du 11 mai 2023 relative aux modalités de conclusion et de gestion des contrats d’assurance. Ce texte reconnaît pleinement la validité des contrats conclus par voie électronique et précise les conditions dans lesquelles la signature électronique peut être utilisée pour les actes juridiques liés à l’exécution du contrat d’assurance.
L’assurance inclusive : un nouveau paradigme juridique
Le concept d’assurance inclusive trouve une traduction juridique dans la loi n°2023-171 du 9 mars 2023 visant à faciliter l’accès à l’assurance pour les personnes en situation de handicap ou souffrant de maladies chroniques. Ce texte crée un droit à l’assurance renforcé pour ces populations et encadre strictement les surprimes pouvant leur être appliquées. La convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) a par ailleurs été révisée le 1er juillet 2023 pour intégrer ces nouvelles dispositions législatives et élargir son champ d’application.
- Suppression du questionnaire médical pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 euros et arrivant à terme avant le 65ème anniversaire de l’emprunteur
- Création d’un mécanisme de mutualisation des risques aggravés avec un plafonnement des surprimes à 100% du tarif standard
Les jurisprudences récentes de la Cour de cassation (notamment Cass. 2e civ., 15 décembre 2022, n°21-12.671) ont renforcé l’obligation d’information et de conseil des intermédiaires d’assurance à l’égard des personnes vulnérables, créant ainsi un véritable droit spécial de l’assurance adapté aux besoins des populations fragiles.
